Les extensions géographiques au service des économies et des cultures locales
Bienvenue dans l’Internet des régions : si chaque pays dispose de son extension de nom de domaine (ccTLD, pour « country code »), ça ne suffit pas à combler les revendications d’appartenance locale parfois plus fortes ou complémentaires à celles des nations. Ces « geoTLD » (domaines de premier niveau géographiques) sont parfois des villes (.paris, .london..) des régions administratives (.bzh, .corsica) des états au sein d’une fédération (.saarland) voire des continents entiers (.africa, .asia). On peut voir cette « glocalisation » comme une manière de s’extraire par la différenciation (voire par une forme de protectionnisme) de la concurrence internationale tout en profitant d’internet pour élargir son marché. On doit aussi et surtout constater qu’un outil comme l’extension géographique permet à des communautés soudées par un héritage culturel commun de défendre des traditions et une langue avec les armes numériques.
Se différencier avec une extension locale
La raison d’être d’un geoTLD, mais également de toutes les extensions, est d’offrir par le nom de domaine une opportunité de se démarquer de la concurrence. Les raisons qui mènent à opter pour un .fr, un .org ou un .music : donner une information supplémentaire à ses utilisateurs potentiels pour les encourager à visiter votre site : vous cherchez un site dédié à « exemple », sur « exemple.fr » vous aurez ce contenu dédié au public français, sur « exemple.org » il vous sera délivré par une structure à but non-lucrative et sur « exemple.music » vous pourrez en toute quiétude profiter des oeuvre de « exemple », votre artiste préféré.
Les différenciations spécifiques d’un geoTLD
Le geoTLD est donc une marque de différenciation géographique. Quelle sont les atouts d’une différenciation marquée par une extension locale ?
- Donner une information supplémentaire
Le geoTLD étant par définition local, son usage donne une indication qu’il n’est dès lors plus nécessaire de faire figurer dans son nom de domaine. On peut donc réduire ce dernier à l’essentiel et permettre de trouver son site avec une adresse courte et facile à mémoriser : pourquoi enregistrer « marque-bretagne.com » quand on peut opter pour « marque.bzh » ? Cette différenciation permet à des entreprises de tailles plus modestes de ne pas subir l’hégémonie des acteurs nationaux ou internationaux qui peuvent avoir préempté les noms de domaines les plus percutants en .com ou en .net par exemple. Les entrepreneurs tentés par le .alsace suivent la même logique selon Benjamin Louis, manageur du registre alsacien : »Il y a beaucoup de domaines déposés par les entreprises du terroir / gastronomie / vin / traditions car .alsace évoque leur terroir, leur AOC, leur savoir faire et les contraintes d’enregistrement du .alsace donnent une forme de garantie quand à la provenance : un site du vignoble en .alsace donne plus de garanties sur le titulaire qu’un site en .com« . Dans certains cas, pour l’extension du Pays Basque par exemple, le choix d’une extension locale s’apparente à une forme de militantisme ou de patriotisme particulièrement important pour une partie de la population. - Fédérer une communauté
Les registres de ces extensions régionales peuvent mettre à disposition des sites enregistrés un soutien marketing, notamment lorsqu’ils sont chapeautés par des collectivité locale. David Lesvenan, président de .bzh décrit ce soutien : « Nous offrons aux titulaires la possibilité de référencer leur site en .bzh sur notre annuaire en ligne web.bzh. Cet annuaire participe à notre stratégie de mise en avant des sites et services en .bzh que nous relayons également sur nos réseaux sociaux« . La chaine Youtube du registre propose ainsi des portraits d’entrepreneurs locaux. « On a des partenariats avec les Chambres Consulaires et autres entités locales comme l’ADT » précise Benjamin Louis, « Et surtout, on communique le plus possible, via les réseaux sociaux, par emailing… sur les entreprises ayant leur site en .alsace. Ça donne un éclairage sur une entreprise et pour nous ça donne de bons exemples d’usage des domaines.« - Offrir une garantie aux visiteurs
L’extension locale envoie un signal rassurant aux utilisateurs en dépit du fait qu’elle est parfois moins connue que les extension génériques ou les ccTLDs. En effet, un geoTLD laisse entendre que les responsables du site sont basés dans la région en question (ça n’est pas forcément le cas), qu’ils sont soumis à des règles que l’on maîtrise et qu’ils sont, tout simplement, joignables par téléphone si besoin. Le registre du .SWISS cible par exemple uniquement les personne morales (entreprises, associations, collectivités) basées sur le territoire helvétique et rend ainsi son accès plus restreint que pour le .CH, le ccTLD officiel de la Confédération. Le .alsace mise énormément sur ce point selon son président : « Notre volonté était aussi de faire du .alsace une zone respectable, respectée et sécurisée. C’est plus qu’atteint, car il n’y a pas eu d’abus DNS en .alsace depuis plusieurs années et .alsace a été invité à l’ICANN pour expliquer sa méthode pour les abus.« - Montrer son adhésion à un cahier des charges
La perception des noms de domaine enregistrés avec un geoTLD s’accompagne de l’idée, souvent vérifiée, que le registre garde un contrôle relativement important sur ce qui est fait avec son extension. C’est par exemple le cas du .berlin, qui précise dans ses conditions qu’au moins un des trois contacts (le propriétaire, le référent administratif ou le référent technique, les trois entités données par le Whois) soit basé à Berlin. La même page précise néanmoins qu’aucun contrôle n’est effectué et qu’au nom de l’ouverture et du caractère cosmopolite de la ville, tout le monde est un peu berlinois…. de la même manière, le registre chargé de l’extension .NYC exige une adresse locale et se réserve le droit de suspendre ou supprimer les noms de domaine se livrant à des activités frauduleuses. Ce cahier des charges existe aussi pour l’extension bretonne : « Au niveau du registre, nous nous assurons par des contrôles quotidiens le respect de nos conditions d’enregistrement, » détaille le président de l’association .bzh, » une adresse basée en Bretagne (Finistère, Morbihan, Loire Atlantique, Côtes d’Armor et Ille et Vilaine) ou une part significative du site web consacrée à la Bretagne, la culture bretonne ou en langue bretonne ou gallèse. »
Ce dernier exemple illustre la double mission de ces registres : être un label prouvant une forme de proximité ou de légitimité à rejoindre cette communauté, mais aussi une ouverture à toute initiative contribuant au dynamisme culturel de ce territoire.
Le geoTLD comme outil pour préserver un héritage culturel
Il serait réducteur de considérer les geoTLDs comme des outils de différenciation locale ou une forme de protectionnisme dans un contexte de concurrence globalisée. Les registres, en général des structures à but non lucratif (fondation, association), poursuivent souvent d’autres ambitions et répondent parfois aux revendications identitaires fortes des populations.
Faire vivre la culture et la langue en ligne
Une extension, c’est aussi un signe de ralliement linguistique. Un .FR ou un .DE dans un nom de domaine évoque davantage la langue des contenus que la localisation géographique de leurs visiteurs. Le geoTLD est donc un moyen d’encourager à faire vivre une langue régionale, notamment pour des territoires définis avant tout par leur patrimoine culturel que par une limite administrative.
Les registres peuvent donc mettre en avant leur volonté d’œuvrer pour la diversité linguistique. C’est le cas pour le .TATAR, qui existe principalement nous dit le site du Registre pour préserver la langue Tatare, principal trait d’union d’une culture aujourd’hui disséminée entre plusieurs républiques et oblasts de la fédération russe.
Le registre fait le nécessaire pour permettre une utilisation de la langue sur internet, en acceptant par exemple les caractères spécifiques dans les noms de domaine (les IDN, noms de domaines internationalisés). Les noms de domaine utilisant l’extension de la Catalogne .CAT peuvent ainsi utiliser des caractères tels que à; é; è: í; ï; ó; ò; ú; ü; ç. Certains vont même plus loin : le registre PointQuébec se réserve le droit de corriger un nom de domaine n’utilisant pas le bon caractère, si vous tentez d’enregistrer « francais.quebec », le registre vous informera qu’il l’a transformé en « français.quebec », la langue française est bien gardée, la francophonie peut dormir tranquille.
Le soutien à l’usage d’une langue peut même prendre des formes plus directes, PuntuEus, le registre chargé d’administrer l’extension basque .EUS met en ligne un plugin gratuit pour permettre à ses utilisateurs de traduire leur site en basque.
Enfin, certains registres posent une contrainte plus ou moins forte et incluent dans les conditions d’utilisation du geoTLD un engagement contractuel à produire un site dans la langue concernée, c’est le cas du .cat qui donne 6 mois à ses clients pour se soumettre à cette obligation. Du côté du registre basque, « le site web doit contenir un contenu significatif en basque, ou réaliser des communications dans cette langue » explique Lorea Arakistain, communication and marketing manager de PUNTUEUS, « ou le contenu du site web doit traiter ou promouvoir la culture basque, entendue dans son sens le plus large. » Le registre doit trouver le juste milieu entre ses ambitions, pour « maintenir un équilibre entre l’ouverture et l’inclusion du domaine .eus, tout en veillant à ce qu’il reste principalement lié à la culture et à l’économie basques » ajoute Lorea.
Des actions culturelles rendues possibles par le geoTLD
Par leur statut associatif, certains registres peuvent apporter un soutien indirect à la mise en avant de spécificités culturelles. c’est le cas par exemple du registre PuntoGal, garant du développement de l’extension géographique attribuée à la Galice. L’association contribue en effet, grâce aux recettes de son activité de registre, au financement d’actions culturelles ciblées qu’elle met en avant sur son site.
PuntuEus, fondation engagée pour la reconnaissance et la culture basque, consacre une partie de son énergie à intervenir dans des écoles et des universités pour parler se son action. Mais le registre va plus loin et participe activement à la constitution d’un véritable « écosystème » réunissant les acteurs et les outils permettant à la communauté basque de disposer d’une identité numérique sans sacrifier sa culture.
Conclusion : Préserver d’abord, valoriser ensuite
La raison d’être de ces extensions géographiques dépend donc des territoires qu’elles concernent et du besoin de reconnaissance exprimé par ces communautés locales. C’est aussi cette volonté plus ou moins forte de préserver et promouvoir un héritage culturel (et linguistique) qui va conditionner la forme juridique des registres : le .berlin ou le .irish sont administrés par des sociétés et génèrent certainement moins d’attente en terme de promotion culturelle que le .eus ou le .cat, confiés à des fondations. On conçoit aisément que dans ces derniers cas, les exigences en terme de préservation du patrimoine culturel sont plus fortes que pour une capitale européenne ou une identité portée par une diaspora colossale présente partout sur le globe.
Internet sait donc, parfois, mettre la culture avant le profit, et faire du profit quand la culture est florissante, ce qui est, convenons-en, une bonne nouvelle.