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4 idées reçues à combattre pour protéger ses données personnelles

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Interview Pouhiou de Framasoft : protéger ses données personnelles
photo : Antoine Lamielle CC BY 4.0

Avons-nous déjà renoncé à protéger nos données personnelles ? L’illusion de la gratuité des services et contenus en ligne et le sentiment que « ça n’est pas si grave finalement » nous encouragent à accepter un peu trop rapidement des cookies, des trackers et des conditions d’utilisation abusives. Ce renoncement à certains aspects de notre vie privée n’est pourtant pas inéluctable, comme nous l’explique Pouihou, co-directeur de Framasoft.

Framasoft, projet soutenu par Gandi, est une association créée en 2001 et tournée vers l’éducation populaire avec la volonté de sensibiliser aux enjeux du numérique et des communs culturels. Framasoft mène de nombreuses actions pour défendre un Internet libre, décentralisé, éthique et solidaire.

Données personnelles, idée reçue n°1 :  « Je n’ai rien à cacher, je ne risque rien »

L’anonymat, c’est suspect. Pourquoi s’évertuer à dissimuler un comportement normal ? Je ne mets pas une cagoule quand je vais acheter mon pain…

Pouhiou : Bien sûr que vous n’avez rien à cacher, comme la plupart d’entre nous, vous n’êtes pas un(e) vilain(e) criminel(le) ! Cependant, aux toilettes ou sous la douche, on ferme la porte. Car nous avons envie de préserver notre intimité et des moments où nous ne sommes pas observé(e).

Est-ce que j’ai vraiment envie que Google ou Apple sachent que j’ai conduit mon frère à un rendez-vous médical, même quand je n’ai pas activé le GPS ni la localisation de mon téléphone ? Et qu’en pense mon frère si jamais, par malheur, je dois l’emmener chez l’oncologue ?

Est-ce que, lorsque j’obtiens le numéro d’une personne envers qui j’ai un crush, je pense à lui dire « Merci pour ton 06, au fait j’ai autorisé l’accès à mon carnet de contact aux applications Instagram et Whatsapp de Facebook et Microsoft Skype » ?

Le risque c’est de perdre la maîtrise de qui sait quoi de nos comportements, de nos relations sociales, et de ce qu’il y a de plus intime dans nos vies.

Données personnelles, idée reçue n°2 :  « Mes activités en ligne, ça n’intéresse personne »

C’est le meilleur moyen de se rassurer quand on a l’impression d’être observé·e : se persuader que personne n’a de temps ou de ressources à consacrer à l’accumulation et au traitement de ses données personnelles quand on a, comme des millions de gens chaque jour, des activités normales en ligne.

Pouhiou : Allez dire ça aux centres des impôts qui s’associent au service cartographie de Google pour repérer les constructions de piscines et abris de jardin non déclarées !

Les géants du Web sont devenus des puissances économiques, technologiques et politiques principalement grâce à la captation et à la revente de nos données comportementales. La plupart du temps, ces éléments d’information sont ensuite rachetés par des courtiers en données (data brokers) qui les croisent avec d’autres sources (cartes de fidélité, etc.).

Le résultat final est revendu à des banques (pour déterminer le taux auquel on accordera un prêt immobilier), à des assurances (pour déterminer le coût de votre assurance voiture ou santé), voire à des entreprises d’influence politiques (comme Cambridge Analytica, qui avait été payée pour influencer le vote pour le candidat Donald Trump en 2016).

Données personnelles, idée reçue n°3 :  « C’est la seule solution pour avoir des services gratuits »

N’est-ce pas le propre de cette économie de l’information ? Ces données personnelles ne me coûtent pas grand chose et permettent, grâce à des publicités ciblées, de proposer des services et des contenus qui ne me coûtent qu’un peu d’attention ou de “temps de cerveau disponible”.

Pouhiou : Si vous devez payer un service avec des bouts de votre vie, et de la vie de vos proches, est-ce que c’est vraiment gratuit ?

Dans le modèle économique des géants du Web, nous sommes un input, x. Ils captent notre attention en nous nourrissant de leurs services tout en trayant notre travail (les contenus que l’on crée et publie chez eux) et nos vies (en captant nos comportements).

Ce qui est certain, c’est qu’il faut sortir de la croyance « l’informatique, ça doit être gratuit, immédiat, parfait, simple et magique en appuyant sur un bouton ». Si des sites web, des logiciels et des services en ligne fonctionnent, c’est que derrière il y a des humains qui travaillent, avec leur temps et leur talent (et leur frigo à remplir !).

Ainsi, réapprendre à payer pour obtenir des outils informatiques éthiques, qui respectent votre dignité et votre intégrité, ce n’est pas forcément un mauvais calcul.

Données personnelles, idée reçue n°4 :  « De toute façon, on ne peut pas protéger ses données personnelles à moins de vivre dans une grotte »

Pour protéger ses données personnelles, il faudrait donc renoncer aux réseaux sociaux, aux commerces en ligne et retourner à un mode de vie d’il y a quelques décennies et vivre comme des ermites.

Pouhiou : C’est certain qu’on ne peut pas échapper au numérique si l’on veut vivre normalement en société. C’est pour cela qu’il est intéressant de commencer, dès maintenant et à son rythme, une transition vers des outils numériques plus proches de vos valeurs.

Par exemple, au lieu d’utiliser Chrome (le navigateur de Google), Safari (celui d’Apple) ou Edge (le navigateur de Microsoft) vous pouvez opter pour le navigateur Firefox (de la fondation Mozilla), qui est fait pour vous servir sans vous exploiter. Si vous ajoutez un bloqueur de pub (Ublock Origin par exemple) et que vous le synchronisez avec l’app Firefox sur votre téléphone, cela devient très très pratique !

De même, avant d’arrêter les médias sociaux (c’est dur), vous pouvez commencer par changer la manière de les utiliser. D’abord, vous allez dans les paramètres et vous réglez bien vos options de confidentialité, et ensuite vous vous faites un gros cadeau : offrez-vous votre espace de publication !

Créez votre blog, votre site web… L’endroit où tous les textes, images et vidéos que vous créez auront leur place. Dès lors, vos comptes de médias sociaux seront juste un relais, un endroit où vous publiez les liens vers votre espace d’expression à vous.

Par exemple, créez votre blog avec write.as ou write.freely ou encore WordPress proposé par un hébergeur du collectif CHATONS.

De même, s’offrir un nom de domaine n’est pas très cher (environ 15 € par an, parfois moins), et pour ce prix certains registrars, dont Gandi, incluent la création de votre adresse email. Voilà une bonne manière de donner une nouvelle adresse aux personnes qui comptent pour vous, un autre pour les sites web où il faut s’inscrire, et de garder votre compte gmail comme adresse « poubelle ».

Conclusion : gardons la maîtrise de nos données personnelles

Conditionner notre adhésion à tout ce qu’Internet a à nous proposer au respect de notre vie privée, ce n’est pas aller contre le sens de l’Histoire. Les alternatives existent, et il ne tient qu’à nous d’ajuster nos comportement. Le premier pas, comme souvent, est de prendre la mesure du problème, et des outils comme Just Get My Data ou Kimetrak permettent de vérifier le volume d’information dont disposent les services qu’on utilise, et ça peut être vertigineux. Normalement, ce premier pas devrait en appeler d’autres sur la voie d’une plus grande maîtrise de nos données personnelles.